Bon, d'accord, pour la connaître il vaut mieux être wagnérien...
En plus, wagnérien fou...
Avec une préférence pour tout ce qui vient surtout de loin, d'un prétendu "Age d'Or" des années 30...
Et surtout, surtout, n'avoir aucune crainte à écouter des enregistrements immondes, à la prise de son improbable, et en plus parfois chers...
Bref, faut être fou.
Mais la folie a parfois du bon...
Notre Marjorie naquit donc un beau jour de février 1909, à Melbourne, Australie.
Passant son jeune âge dans les grands espaces, entre cheval et chant, elle gagne, à peine sortie de l'enfance, un concours qui la conduisit à Paris pour parfaire sa formation et bénéficier, indirectement, de la présence de Germaine Lubin, immense soprano dramatique de l'époque - à laquelle elle prendra le goût de Wagner... mais dans un style presque totalement inversé.
Très vite, c'est l'ascension : d'abord la province, puis dès 1933, à 24 ans à peine, c'est Paris : Ortrud, Brünnhilde, Isolde, Salomé, Donna Anna, la Maréchale...
Du jamais vu !
En 1935, l'Atlantique est franchie, direction le Metropolitan. Marjorie rejoint alors le gratin de la scène mondiale de l'époque : Lehmann, Rethberg, Melchior, Thorborg, Schorr, Flagstad...
Elle n'y déparre pas, au contraire : sûre de ton, lumineuse, nerveuse, elle donne à toutes les soirées, à tous les rôles qu'elle touche une force, une violence mais aussi une énergie, une vaillance tout simplement fabuleuses, et le tout avec une technique supérieure. Tout est prêt, semble-t-il, pour une entrée dans la légende.
Une ignoble journée de 1941, alors qu'elle répétait la Walkyrie agenouillée, ses jambes cèdent. La poliomyélite vient de la foudroyer.
Ce n'est pas la fin, pourtant.
Quelques mois plus tard, elle est de retour à la radio. Elle incarne Venus et Isolde sur scène, statique. Elle va sur le front chanter pour les soldats. Elle revient chanter Amnéris à Paris après la Libération. Retourne en Australie pour triompher en Aïda.
L'élan est cependant brisé, et sa carrière s'arrête définitivement. Elle s'éteint en janvier 1979.
Son destin météoritique et dramatique autant que prodigieux, a inspiré un film,
Interrupted Melody...
L'énergie indomptable de Marjorie a cependant très vite été captée au disque.
Au studio, dès 32-33, EMI capte scènes sur scènes, en Allemand mais aussi en Français, de ses rôles wagnériens. On en retrouvera quelques uns (Ortrud, Brünnhilde) dans l'album des "
Introuvables du Chant Wagnérien", chez EMI.
Le reste, il faut le chercher. La collection
Lebendige Vergangenheit ne pouvait pas bien sûr la laisser de côté - on lui découvre ses rôles italiens, notamment Tosca.
Heureusement, des pirates bien intentionnés ont sauvé ce qui pouvait l'être de certaines soirées "live" du Metropolitan.
On la retrouvera donc dans deux Walkyrie, une fois en tant que Sieglinde (avec René Maison en Siegmund), une autre fois en Brünnhilde. Un Crépuscule également, où, en tant que Brünnhilde, elle illumine la seule 3e Journée intégrale que nous ayons de cette époque. Un Lohengrin (plus un autre à Buenos Aires), un Tannhauser... Le sauvetage est presque complet !
La prise de son est souvent précaire, mais pas besoin de grand effort ou d'imagination pour entendre un véritable phénomène à l'oeuvre. Incendiaire de bout en bout, dans tous ses rôles, et toujours avec une classe incomparable.
Et, pour ne rien gâcher, elle était BEEEEEEEEEEEEEEELLE :
Et ce, malgré les uniformes réglementaires de l'époque
:
Pour moi, même dans l'ombre éternelle due à la qualité des enregistrements de l'époque (ombre relative pour ses enregistrements studio, où elle perd cependant la vista de l'urgence), elle demeure l'icône d'un chant dramatique, grandiose, puissant mais avant tout maîtrisé et superbement timbré et varié, assorti d'un feu extraordinaire. Une exception, un anti-modèle, pour ses devancières, ses contemporaines ou celles qui suivront...
Jeu 14 Déc - 0:22
